SLAUGHTER TO PREVAIL

En janvier 2022, écrivant l’introduction de mon quatrième carnet de chroniques de concert, je disais qu’il n’y avait plus que deux de mes groupes de Metal préférés que je n’avais pas encore vu : Ice Nine Kills, et Slaughter to Prevail. C’était sans compter évidemment sur la reformation de Pantera que je n’avais même pas osée espérer, et qui est intervenue entre temps comme un cadeau du ciel. Aujourd’hui donc, j’ai vu tous mes groupes préférés du genre. Et je suis partagée entre une certaine satisfaction, et un sentiment de tristesse à l’idée que je n’ai plus dans ma liste intérieure de nouveaux groupes susceptibles de me faire vibrer en live pour la première fois.

Dans le cas de Slaughter, c’était plutôt mal engagé. Nous avons eu coup sur coup les retours de la tournée anglaise, confirmant qu’il n’y avait pas de première partie, et ajoutant que les russes s’étaient fendus de plusieurs heures de retard, d’un set absurdement court de cinquante minutes et d’une prestation claquée au sol. Puis il y a eu les pétitions envoyées par les organisations anti fascistes visant à faire annuler la date parisienne comme en 2015. Ce qui a entrainé le jour même un changement de salle du Cabaret Sauvage vers le Bataclan, et un changement d’horaires d’ouverture de 21h à 19h.

Oui officiellement il a été dit que ce changement était un upgrade suite au succès des réservations. Mais je connais le milieu depuis assez longtemps pour connaitre les véritables raisons, d’autant que la date n’était pas complète, et qu’au Bataclan cela se voit particulièrement bien parce que la différence de 300 personnes tient sur le balcon, et que celui-ci était honteusement clairsemé tandis que la fosse n’était pas à sa jauge maximum.

Ajoutons à cela un sport bien français et dont nous pouvons être fiers : la contestation. Le concert tombe pile sur une semaine de blocus de Paris par les agriculteurs hexagonaux, et une veille de grève nationale. Je ne vous raconte pas la logistique pour venir, mais elle a inclue le sacrifice de la voiture au profit du RER, avec tous les aléas que cela implique pour le retour.

Je retrouve William, Amélie et Anthony dans la queue somme toute modeste qui s’étend le long du boulevard Voltaire. J’ai pris soin d’acheter au passage un jambon-beurre et un financier pour mettre un peu de jus dans la machine, parce qu’entre l’achat de mon nouveau chez moi, la programmation de mes différentes opérations et les gros projets au taf, je dors peu et j’ai pas le temps de faire les courses. Et un sachet de chips et une tablette de Kit-Kat dans le bide depuis la veille, je ne voulais pas faire de mauvais esprit mais cela risquais d’être un peu léger vu la bagarre qui s’annonçait.

Financier que j’ai du partager en quatrième vitesse avec les copains, parce que la sécurité l’a repéré, et qu’il est hors de question dans mon monde de jeter de la bouffe. On repassera pour l’énergie, je vais compenser avec une Redbull offerte par William. Qui a donc le droit de m’insulter, mais uniquement à moitié ce soir. C’est aussi un plaisir de revoir de vieux copains, notamment Guigou et Alex, devenus trop rares.

Tu sais que le pit va atteindre des sommets de débilités quand tu vois des espèces de golgoths commencer à faire des concours de pompes au milieu de la fosse deux heures avant le début des hostilités. J’ai bien fait de m’acheter ce protège-dents. Quand la foule commence à se densifier, on se rapproche de la scène. Je fais brièvement demi-tour pour dire bonjour à Romain et Nathan, plus en retrait, et un homme ricane en disant à ses copains « en voila déjà une qui se désiste, c’est plus sage ». Ce genre de remarques qui me fait simultanément haïr le public d’imbéciles misogynes qu’on trouve dans certaines tranches du core, et attendre avec impatience le moment de lui coller une beigne méritée au milieu d’un pogo. Ce qui n’arrivera pas car le mec en question reste soigneusement au bord : c’est toujours ceux qui bavent le plus qui agissent le moins.

Enfin, la musique d’intro retentit. C’est le thème du nightclub de vampires du premier film Blade. Un choix brillant. Pas seulement car, comme chacun sait, je suis une très grande fan de Blade, et plus encore de la techno de cette époque. Mais surtout parce qu’elle dure dix solides minutes d’un tempo qui augmente le rythme cardiaque progressivement, et fait monter l’excitation jusqu’au point de rupture. Brillant également car en l’absence de première partie pour s’échauffer, quelques pas de danse ne sont pas de trop.

Bonebreaker d’entrée, la taulée. Remarque je dis ça, c’est pas comme si leur discographie contenait des balades, peu importe comment ils lançaient le set ça promettait de swinguer. Mais tout est dans l’intention, contenue toute entière dans le titre. Ils veulent du sang et des os brisés, nous leur donnerons donc cela. Quoique certains avaient pris de l’avance : tu prends le pote des copains, Titouan, il s’est pointé dans le pit avec un genou couturé de points de sutures. J’hésite entre la bravoure et la folie. Probablement un mélange des deux.

Je suis déçue. J’avais dit à Amélie que j’attendais des joggings Adidas sur scène, et à part Evgeny ils sont tous en pantalons. Les clichés se perdent. J’ai finie encastrée dans le second rang, prise de court par ce premier pit. Cela me permet de voir la stature impressionnante d’Alex Terrible, agrémentée de tatouages full body, d’une scarification au visage et d’une musculature sèche comme un coup de trique. Étonnamment surmontée d’un visage bonhomme, souriant à chaque intervention orales, un contraste saisissant avec sa gueule de guerrier quand il chante.

Agony pour continuer. Encore un nom évocateur. J’ai réussi à retourner au milieu du pit à la faveur d’un wall of death, mais je ne suis pas encore suffisamment échauffée, et le cardio en prend un sacré coup sur le coin du bec. C’est ma faiblesse, je l’admets, je le néglige trop souvent. Donc j’étouffe un peu, noyée dans mes capacités respiratoires ridicules. Mais je tiens la distance, comme dirait Rocky. Vient ensuite Bratva, et je n’attendais qu’elle. Je ne sais pas ce qui me plait le plus dans cette ode à la sainte violence : les riffs parmi les plus lourds et agressifs jamais composés, les hurlements inhumains d’Alex, ou la puissance de frappe de cette batterie qui t’envoi manchette sur manchette.

En parlant de hurlements inhumains, il ne fait aucun doute que le petit Terrible est le meilleur growler de sa génération. Le souci, c’est qu’il a une technique à chier, il force beaucoup trop sur ses cordes vocales. Dans dix ans il est rincé. Il faut donc en profiter maintenant. Et quel plaisir de constater la réalité de son growl, encore plus puissant en réalité, si c’est seulement possible, que sur album. Le micro est quasiment superflu, c’est démentiel.

L’espèce de précipitation saccadée de Made in Russia. Cette fois je suis à 100%, je renvoi coups pour coups dans l’énorme chaos qui prend le centre de la salle. Le niveau d’abrutisme de ce pit passe un cap. Le protège-dents montre toute son utilité, j’ai pris un dos pleine vitesse dans la pommette et j’ai réussi à éviter un entrechoquement des dents qui aurait probablement été fatal ce coup ci avec la fragilisation post Bury Tomorrow. Je ne suis d’ailleurs pas la seule dans ce bordel à avoir pris cette précaution, j’en ai repéré au moins deux autres.

1984, je déguste. La savoureuse ironie d’un Alex Terrible hurlant « please stop the violence » devant une zone de combat faisant dans la surenchère de brutalité. Et physiquement aussi, on ne va pas se mentir. J’ai des hématomes sur le corps qui font United colors of Benetton quatre jours après. Et j’ai pris un chassé dans le tibia qui a rendu ma séance de renforcement musculaire du lendemain compliquée en ce qui concerne les jumping jack et les squats sautés.

Et puis voila Viking, avec le fameux gator sound du frontman et ses aboiements féroces. Un animal le bordel. C’est un tel plaisir d’entendre ça ! Et puis il y a une ligne inspirée improbable dans ce titre. Et dans plusieurs autres, l’une des originalités du groupe à mon sens. On est sur un Deathcore qui n’a sacrifié ni l’intelligibilité des paroles, ni l’efficacité d’un bon passage mélodique pour contraster avec la violence absurde de la section rythmique.

Quand Alex Terrible chante I Killed a Man, je le crois. Même si j’aime moins ce titre, je trouve le ratio mélodie / tabassage trop déséquilibré pour un live. Pour le coup, c’est ce qui s’apparente le plus à une balade dans le portefeuille des russes. Mais il y a un truc que ce titre apporte, c’est l’appréciation fine du jeu de batterie juste incroyable d’Evgeny, d’une vitesse affolante. Et comme il ne faudrait pas se refroidir, le banger Baba Yaga juste derrière, histoire de rajouter une couche de férocité et de chœurs épiques sur un pit qui n’avait pas besoin de ça pour enchainer circle pits et wall of death même sans aucun encouragements du groupe. C’est à ça qu’on reconnait une excellente performance.

Avant cela, Alex fait un long discours sur la tolérance et l’amour qu’on doit à son prochain, qu’on peu sobrement résumé à « je ne suis pas le facho que les gens qui veulent nous faire annuler dépeignent ». Et c’est vrai que je trouve regrettable cet acharnement contre lui, alors qu’il a toujours assumé avoir fait le mauvais choix d’appartenir à un groupe néo nazi de ses seize à ses vingt ans, quand il était trop jeune, trop con et trop seul pour avoir d’autres fréquentations, surtout en Russie. Le message que ça envoi est problématique, car cela prouve que tu n’as pas le droit à l’erreur, même de jeunesse, et que cela te poursuivra toute ta vie. Une aberration dans la perspective de combattre les idées rances sur le long terme. Ils font des cœurs avec les doigts, on fait des cœurs avec les doigts, à deux semaines de la Saint-Valentin prévu avec Dagoba c’est trop d’amour, c’est dégueulasse. Est-ce que les vrai fachos font des cœurs avec les doigts ?

On s’est plusieurs fois foirées avec Amélie pour le slam. Ca sera pour le pont musical entre le deuxième couplet et l’un des breakdown les plus violent du style. On s’élance ensemble, moitié l’une sur l’autre. Amélie chute avant d’arriver au bout, tandis que je me fais récupérer délicatement par la sécurité ce coup ci, sous le regard approbateur du frontman. Mais ce n’est pas encore fini, il reste Demolisher dans les cartons, histoire d’interagir un peu avec le public. Qui une fois de plus possède un breakdown monstrueux. Si on ne devait retenir que deux choses de l’apport de Slaughter to Prevail au genre, ce sont les breakdowns d’enculés et les prouesses vocales du frontman.

Ils auraient pu repartir comme des princes sur ce dernier fait d’arme, au lieu de quoi ils prennent la décision d’annihiler ce qu’il reste du pit en revenant avec Hell, l’un de leurs premiers titres. Le set n’aura effectivement duré que cinquante minutes, mais pour la première fois je n’ai pas trouvé ça trop court. Plus long, on aurait atteint aux limites physiques journalières des musiciens, vu tout ce qu’ils donnent. Et probablement aux nôtres aussi. J’ai les fringues trempées et les jambes un peu tremblotantes en sortant de là, mais toutes mes dents et pas de membres brisés, une chance. Le bonheur tient à peu de chose.

Un dernier au revoir aux copains, notamment Alice, que je ne fais que croiser à mon grand regret. Et il est temps de partir quérir un moyen de transport retour. J’avais checké les derniers trains pourtant, allant jusqu’à me garer à Melun pour être sure de me dégager la possibilité de chopper un direct. Ce dernier train devait être à 23h15 à Gare de Lyon. Je retrouve Titouan sur le quai du métro, partageant le même objectif, et la jambe étonnamment entière.

Evidemment, on ne peux jamais faire confiance à la SNCF : le dernier train était à 22h44, et nous sommes arrivés à 22h50. Le seum. On en est quite pour prendre ce bon vieux Noctilien, dont la proximité avec les autres passagers ne leur laisse guère le choix que de se voir imposer mon écœurante odeur de sueur, mélange unique de centaines de corps suintants. Tu me diras, c’est toujours mieux que la fois où je suis rentrée de Watain couverte de sang moisi. Et j’ai réussi à éviter le mec qui sent la pisse, qui était de retour à gauche de la scène. Mais j’ai toujours un peu de peine pour les gens qu’on croise après un live.

  1. Bonebreaker
  2. Agony
  3. Bratva
  4. Made in Russia
  5. 1984
  6. Viking
  7. I Killed a Man
  8. Baba Yaga
  9. Demolisher
  10. Hell

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